ON NE MEURT BIEN QU'EN ALGERIE

 

REPORTAGE

( De notre envoyé spécial à Bentalha )

 

En arrivant j'ai trouvé

 tes cahiers d'écolier

avec un poème perdu dedans

A trop le lire je souhaite

à trop l'entendre

je souhaite

mourir moins lentement

que toi

mon enfant

toi mon enfant

dont la tête a roulé

plus vite

que le viol de tes soeurs

mon enfant

mon enfant dont la tête a roulé dans la poussière

mon enfant dont la tête a roulé moins vite

que notre honneur dans la poussière

de Guernica à Bentalha

 

 

 

REPORTAGE 3

(De notre envoyé spécial à Hai Rais)

 

Une couronne mortuaire

a cerné le village

 

L’enfant en sa nuit glacée

Le sourire de peur vêtu

 

L’enfant attendait

Comme chaque soir

 

Le chant de la tronçonneuse

a coupé son sommeil

REPORTAGE 4

Elle m'a écrit le coeur saignant mais les yeux secs

Elle m'a écrit tous ses oublis

Des moments réfugiés sur la terrasse

La main sur la bouche

La bouche du bébé qui voulait crier

L'enfant est mort étouffé

Pendant qu'ils tuaient au rez de chaussée

 
 

CHAMBRE NOIRE

 

Non Kader

ce n'est pas de ta faute

c'est les photos autres

si la lampe rouge s'est alarmée

L'HEURE D'ALGER

A présent il faut faire vite

Ecriture trop impatience car

embarqué sur une fièvre trop pressée.

J'ai choisi d'en faire un moment

privilégié de l'action vitale.

Pour ne pas chanceler

à l'heure où l'on égorge mes frères.

 

( Au fonds du vers mon refus d’aurores ambiguës).

 

Je rentre dans ma ville

à l'heure des peurs

à l'heure où des solitudes

s'accouplent en silence

à l'heure où conspirent les turbans tachés de sang

à l'heure des gares désertes

à l'heure où s'aiguisent les lames

à l'heure où j'ai mal au coeur d'Alger

 
 

AMBULANCE

Du sang! Du sang

je suis perdu sans!

L’ANTEPOESIE

L'antépoésie arabe compare

ton buste au marbre blanc

ne t'y fie pas nubile

le marbre est glacé

comme une pierre tombale

ton buste est de chair

leur lyrisme est un suaire

 

Ils n'ont pas fini de t'enterrer

 
 

DE  JOIE

Le tatoué d'abord

Choisit la couleur claire

D'un soutien-gorge dégrafé

 

Le plaisir commence

Quand ton rire cascade

Le long de ma colonne

 

... Et tu t'installes

dans ma joie

gardienne d'un sanctuaire

où vient gémir

la courbe d'un désir

qu'il faut cueillir

doucement

doucement

doucement

VOCATION

Un soir il lui dit :

Réveille-moi tôt

Je pense mourir demain

 

Ils passent leur temps à mourir

dans une cage d'escalier

à la sortie d'un stade

ou à l'entrée d'un poème

 

Ainsi en est-il des berbères :

chaque fois que l'un tombe

le suivant se présente

au guichet de la mort

 

Mais vous verrez désormais

ils ne feront pas que mourir

 

 

 

 

 

RIVAL

 

Souvent mais pas assez

peut-être

je suis venu souvent

et jaloux

chasser les anges qui jouent

à la marelle sur ton ventre

 

je ne t'ai aimée que le temps

d'amour

compté comme les jours

qui restent à mourir

 

Mais je les meurs bien

tout seul

EROPOEME

Je goûte le miel

et moissonne les frissons

à la lisière de ton corps

Tu deviens inverbe

et tes râles

et tes gémissements

font une symphonie

érotique

 

 

 

 

 

JOUISSANCE

Harmonieuse fente entrouverte

devant sa propre infinitude

Délicatement

J’ai introduit mon impatience d’abord

Ma fièvre ensuite et ma virilité enfin

 

J’ai oublié l’exil

IVRE

Mots jetés au clair de la tendresse.

que dire?

je m'égare dans l'infini du vocabulaire.

Des vagues de mots écorchés s'abattent contre le silence.

Je voudrais tout , sans peur de ne pas y parvenir...

Mais mes mots ont besoin des tiens pour s'accomplir et transcrire l'étreinte de cette nuit

 

parce qu'un arc-en-ciel

parce qu'une promenade

parce que l'herbe

 

parce qu'un seul monde

parce qu'une seule nuit

parce qu'une seule mort

je t'aime

 
 

REFUGES

Un sourire me prend le bras comme pour une photo-souvenir:

 « tu feras attention à toi ? » dit le sourire

 

A bout de souffle

j'arrive parmi eux

en ces ruelles lumineuses

entre Yemma Gouraya

et

Sidi Beloua

 

Dizaines de portes entrouvertes:

Mange, bois et meurs

parmi nous

m'ont dit les kabyles

URGENCE

Elle téléphone:

tu as oublié le burnous le blanc

celui qu'a tissé ta mère

 
 

ALPHABET

Je regarde dans mon mouchoir

l’empreinte de tes baisers

Ah ! Comme un enfant

regarde le train partir

en agitant son mouchoir

portant l’empreinte…

 

Ma vie est trop longue

je lui fais un ourlet

CALIBRE

Ils comptent une à une

Les vertèbres de nos jours

Pendant que nous crions

Mezguenna !

Ceux qui vont mourir

te saluent !

 

(Face aux gradins déserts

pour quelle cause mourir

mon amour ?)

 

Mais ne t’inquiètes pas

Mon amour

Les vertèbres de nos jours

font du neuf millimètres

 
 

L'ADIEU AUX LARMES   

Pardonnez-moi votre quiétude 

je n'y suis pour rien

           

Peut... 

Ne peut pas être pour cela

que je m'en pas           

de vous et de tout

 

Mon viatique est une griffure

sur l'épaule gauche      

la nstalgie de la griffure          

une odeur de pain chaud

un moment ankaoui  

 

 

le besoin d'un chargeur supplémentaire

 

et d'un rire provoquant

SERMENT

Par les livres et la lumière

par les blessures éternelles

par les enfants mutilés

et leur sourire qui s'enfonce

dans le creux de nos épaules

 

Par les oliviers calcinés

par les eaux que nous lavons

par le sang fleuri de nos camarades

et les zgharit

de leurs épouses

 

Par le pouvoir de la haine

nous jurons nous jurons nous jurons

que nous ferons pleurer vos mères

 
 

SEMBLABLE

Maintenant que tu sais l'heure

tu ne peux ignorer le temps

alors sois désormais

de ceux qui marchent nu-pieds sur le sable brûlant

la neige sale

et l'asphalte éventré

Ceux qui ne craignent

ni la hauteur des vagues

ni la béance de l'abîme

ni la violence des vents contraires

 

Tu viendras

 

Ainsi nous te ressemblerons

et tu seras des nôtres

 

De ceux qu'on ne trahit qu'une fois

ALLEGRESSE

Rendez-moi mes graffitis

J’en ferai des murs adossés

Aux adolescents silencieux

Comme l’approche du simoun

 

Qu’écrire désormais sur les murs

Faits de poitrines alignées

Comme pour la rafale

 

Mais vous ignorez le simoun

Et la rafale

 

Du simoun

 
 

ANONYME

J'ai coupé la branche

à ras-le-saule

parce qu'il ne voulait pas pleurer pendant que j'apprenais

à tutoyer la mort

 

Comme de toi à moi

on se disait

Tue

moi

DISAIT L'AUTRE

Ecrivant balle au canon

le sang noir sur l'asphalte j'écoute mes autres

 

Le sac sur l'épaule

je me heurte aux murs d'un polygone étiolé

 

Reste donc

disait Abouda

On

ne

meurt

bien

qu'en

Algérie

 
  REPIT
Il fait beau
Aujourd'hui ressemble
à un jour sans mort

(les journaux)

TATOUAGES

Désormais tu seras
tu seras seul
à affronter la nuit tombée
Tu sentiras grandir
sous ta semelle usée
tu sentiras grandir
d'une seule poussée
des dieux nouveaux
qui voudront l'impôt
sur tes tatouages
alors tu t'en iras
pour vivre seul
toutes les saisons
du malheur
et tu ne rencontreras
au bord des ruines
aucun sourire où te blottir

 

Tu quêteras longtemps
et ta main restera nue
au bord de l'indifférence
Tu sentiras la morsure
du vent sec et amer
de leur rire caverneux
Ils oublieront ton nom
et le nom
de ton père
Et tu reprendras ta vie
comme on reprend son
baluchon
pour désormais choisir
s'ils t'en laissent le choix
où creuser ta tombe

 

 

 

  UNE SAISON SANS

Cette saison mon amour

est sans fin mon amour

Il lui manque tout

c'est-à-dire

un thé fraternel

un vent frais

et surtout

un rire écarlate

 

Cette saison mon amour

est sans fin fin mon amour

sans couleur

telle un maquis confisqué

 

Il y'a trop de fumée

en cette saison mon amour

trop de fumée

pour que le feu prenne

L'INDIGNE

Tu as trahi sans émoi

et c'est ainsi qu'ils t'aimeront

Ils t’aimeront ainsi drapé

du burnous de la honte

et que tes filles grandissent

entourées de prétendants

qui s'enfuiront à l'aube

et en riant

et que le soleil ne pénètre jamais

en ta demeure

où viendront les ânes braire

Ils t'aimeront ainsi

et ainsi ils t'offriront

la putain aux dents noircies

qu'ils auront chassée de leur table

 
 

PATRIOTES

Braise écrasée

entre le pouce et l'index

 

Si Rezki l'Aurès

Si l'Mekki Soummam

témoignez pour les survivants!

Chênes-lièges de l'Akfadou

galets de l'Amacine

témoignez! témoignez!

La moitié de nos forêts calcinée

et la peur couvrant le reste

 

Tout est-il donc à refaire?

RECITAL POETIQUE

... Et chaque soir

à l'heure où la ville rétrécit

le poète en mon pays fébrile

devant qui la page transpire

le poète pense non pas

à la mer

ni au printemps

ni à l'amour

Le poète en mon pays

dans sa ville qui rétrécit

songe au vers qui ne se crie pas

l'unique vers qui ne s'écrit pas :

où me cacher cette nuit

où ?

 
 

UN PEU DE TOI
Cet enfant que tu regardes mourir sur ton écran couleur

à partir de New York

Paris

Damas

Saint Petersbourg

Cet enfant que tu regarde mourir c'est un peu de NewYork

un peu de Paris
un peu de Damas

qui se meurt

ici à Alger

SOLITAIRE

Solitaire assis

à même l'écorce de la

terre

médite l'écharde

plantée

entre la chair et l'ongle

de mon pays

 

Solitaire arc-bouté

déverse des mots

insensés

guettant le sens des

balles

les yeux grands ouverts

 

Solitaire ami

refuse d'égréner

l'attente

au cadran de tant

d'absence

 

Je suis mon propre

étendard

je suis la foule qui va

nu-pieds

au rendez-vous

sans jamais se rendre

 
 

FICTION

Un soir de paix

le camarade s'étonne :

nous sommes encore vivants !

RESPIRATION

Un poumon de moins

c'est une cible qui rétrécit

 
 

TELEGRAMME

Papillon bleu au ventre lisse

papillon bleu aux ailes déployées

papillon bleu au sexe de jardin

dis-lui :

le refus est dans la ville

le refuge est au désert

STRABISME

 D'abord je ne vous ai pas vus

car vous n'étiez pas visibles

 

J'ai vu pleurer le sein

à la lèvre enfantine

 

J'ai une femme passer

entre un chien docile

et le loup aboyant

 

 J'ai bu

 

 

QUADRATURE

Abeille aveugle

je promenais ma cécité

dans le cercle des illusions

D'ignrance en promesses

de promesses en négations

le cercle rétrécit

il ne nous contient plus :

trop de heurts entre les

murs

entre les paroles

entre nous

 

J'ai découvert d'autres rêves

que ceux partagés

J'ai découvert d'autres réalités

que la béatitude

J'ai découvert

d'autres plantes

à arroser

 

L'arme devant la porte

je pars

 

Le printemps se moque du reste

RECTIFICATIF

Avant j'étais aveugle

A présent je ne vois plus rien

 
 
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