Introduction

L’écriture est parfois l’antichambre du suicide, mais votre silence a brisé le mien et la tentation devient grande de dire.
J’aimerai comprendre et votre absence et vos silences, forts d’une union indélébile d’outils et de regards.
J’aimerai aimer, fort, à la manière d’une foi religieuse ce qui reste à dire.
J’aimerai surtout écrire sans conditions et sans preuves autres que celles de la conviction.
Mais les uniformes sautent à la gorge des mots, coupent le souffle de l’écriture et me conduisent à assumer dans un immense sourire clair le blanc des mots qui ne seraient pas écrits.

Alger, décembre 1982

utent à la gorge des mots, coupent le souffle de l'écriture et me conduisent à assumer, dans un immense sourire clair, le blanc des mots qui ne seraient pas écrits

 

 

 

 

, Je parle seulement pour moi et quelques autres,
puisque beaucoup de ceux qui ont la parole se déclarent satisfaits.
Gaston MIRON

 

   
CREDO
Je ne suis pas l'être d'alphabet
ni cette colonne verbale
qui répond aux maux des uns
avec les mots des autres,
mais simple goutte d'ivresse tombée
sur une nappe de musique,
vieille colère qui s'étire
dans un coeur juvénile
et j'habite le ventre d'un manuscrit
que traque l'intolérance...
     

Je donne aux mots
Qui se lèvent tôt
Ma peine à partager
Ma peine à écrire
Ce qui m'obsède
Et me fait dire :
Que ferons-nous...
Que ferons-nous
La nuit venue ?
(J'ordonne aux mots
Qui se lèvent tôt
D'ouvrir les portes
Du printemps.)
En équilibre sur le rebord des mots
Je m'obstine à décrire
Les bourgeons naissants
D'un rire universel,
Je m'obstine à dissiper
La nuit plantée
Dans les yeux d'enfants,
Je m'obstine à retenir
Ma silhouette qui rétrécit
Dans les rues bleues d'Alger

   
LES POETES
Artisans-poètes au verbe indésirable
Amants que la folie guette
Nous jouons gravement à saisir au vol
Chaque idée jeune qui traverse le siècle.
La chair lacérée par la laideur contemporaine
Nos poings meurtris contre les murailles de la nuit
Nous persévérons, nous persévérons
Nous nous occupons à répandre de l'huile
Sous la trajectoire imbécile du présent
Pour le faire déraper...
Pour lui faire rejoindre
Le rendez-vous de la bourrasque !


   
  USURE
Au détour de chaque hésitation
Je rencontre la parole désarticulée
Dans laquelle s'installent tous les possibles.
Dans l'extinction du feu commun
Je me traîne comme un rire forcé,
Ciselant des mots
Au rythme de ma fragilité
Et de ma pâleur soudaines.
   

Chant

   
J'entame mon voyage au gouvernail
d'un rêve aérolithique
Et dans l'impatience je demeure
inaccessible !
   
  NOS FEMMES
A la fenêtre du huit mars
je distingue derrière les rideaux
des rides labourant ce front qu'elle voulut orner
d'une superbe rangée de non
   
Triste est l'heure
Mais la mélancolie
Est autre
Dans ma poitrine le bruit
D'un wagon qui se détache.
Ailleurs un autre temps
Entouré d'autres paysages...
Ici l'errance...
La souffrance
Est d'une étrange banalité.
   
  MORT NE
Il était une fois
Un regard mouillé
Sur des paysages frissonnants
Il était une fois
Des fruits mûrs
Et des lèvres gercées d'attente
Il était une fois
L'espace d'un sourire
Entre deux bouches
Il était une fois
Une idée franche
Qui ne pouvait attendre
( Il était une fois
La détermination, l'espoir ...Et puis plus rien.)
   
VI
Ils vont et viennent
Toujours à deux...
Deux à deux
Additionnés à d'autres paires Font la pieuvre immense et bleue Tentacules d'intolérance
A l'encontre de nos pas.
19
Voici revenue l'ère de la ciguë des autodafés, du criquet bleu
et la eiwada à tout bout de champ
Nous contenterons-nous d'avoir été le prototype de leurs cauchemars ?
La cantatrice triche et refuse vos fleurs
Hommes, êtes-vous
des Hommes ou bien des porte-sexes ?
   
  Ici on ne meurt pas. On rampe.
La visière des casquettes projette de l'ombre sur nous et ennuage nos rêves.
Impatients de vivre l'incendie des étreintes futures, nous rassemblons les étoiles perdues sur le seuil de nos demeures pour les restituer au ciel, loin des convoi­tises...
O camarades ! Si votre absence se prolonge, l'écharpe risque de se ternir et de ressembler à une nuit sans femme...Et nous n'hériterons d'aucun baiser que nous aurons donné.
   
VIII
Gémissement locataire
D'un couloir de tristesse
Le vent murmure chaque folie
Que nous raviront les ombres
A l'orée de chaque doute.
   
  PERDITION
Une terre dure
Mais heureuse
Nous pleure...
La place est occupée
Où sur l'heure
Se dilue le sens de nos attentes
La place est occupée
Où sur l'heure
S'édifie la mort
Dans le silence de nos femmes
Couve désormais l'inégale aventure
Où les uns suivant d'autres
Toutes les audaces
Tous les égarements
Sont devenus possibles.
   
Les murs d'insistance
ont brisé nos phalanges !
Déchirement et peur
Peur et désir de la rupture depuis nos villages émasculés,
depuis la tempête excisée
par d'imbéciles prétendants, depuis l'obscurité rampante...
L'espoir étant comme la porte qu'on retient du pied (« ils » sont si nombreux à pousser !)
je m'approche un peu
je m'approche un peu plus du vide
qui s'installe au bord de vos lèvres
et au creux du discours
je discerne l'image :
Il nous faudra tout recommencer.
   
  COLERE
J'abrite dans ma douleur
La rupture d'un rêve
Mais je refuse de m'inscrire
Dans la foulée du désastre.
 J'ordonne au présent d'être
L'affirmation bruyante
L'affirmation brutale
D'une colère ancienne.
L'espoir hier entrevu
Impose d'aller jusqu'au bout.

Dresser au coeur de la cité
Un rêve et sa folie
Unir en un baiser leur ombre
Croire en eux et les aimer
(pour ce qu'ils sont, mais aussi pour ce qu'ils ne sont pas)
Et vivre à travers
Leurs renaissances multiples

(Il faut rêver, disait-il.)

-Lénine, dans Que faire ?

   
  Chaque fin de combat
Annonce un combat nouveau
Mais ... Où sont les rebelles
La poudre, les barricades ?
Moi l'impie, moi l’ami
Des libraires et des barmen
Moi le tatoué qui vibre
D'aimer à bout portant
Moi qui prenais la parole
Sans prétendre la donner,
En vérité je vous le dis :
Je pars...
Parjure et par vaux
Dans le sillage d'un vers
Qui rime au vin
Et d'une idée hospitalière.
   
En ces heures impatientes
Montées en forme de barricades
Tel dieu s'éteint
Tel autre se prostitue
Car la ville s'avère enceinte
D'un refus qui naîtra sanglant
Car en son poing l'interrogation
Menace et hurle : Il nous faut
A pleines mains reconquérir
Repeupler nos friches !
   
  DESINVOLTURE
Regarde tel rêve monter
Fier et insolent
L'escalier des tribunaux
O mon amie ! Mon amour
Et mon âme hurlent
La fin d'un monde
Où chaque brèche
Devient impasse.
   

EL HADJAR
Main calleuse
Vide de pain
Vide de hanches
Vide de livres
Mais vide de crainte.
Main calleuse
Avide de pain
Avide de pain
Avide de chair
Avide d'apprendre.
Main calleuse
Pleine d'espoir
Pleine de rêves
Mais pleine de haine.
Main calleuse
Main disponible
Main nue
Qui se crispe
Et se referme
En poing final.

   
  Ouvrir la porte
Celle d'après...
Et fracturer toutes les autres
Pour l'amie lointaine et la caresse
Dont le secret comme un éclat
(de rire dans une salle d'audience)
Nous libère des noeuds factices.
   
Verbe à gestes
Je couds la vie
Un peu à la manière
Du corps des jeunes filles
Gagnant angle après angle
 Le droit de dire non
(...Et je murmure à tes oreilles
la rêverie fantastique
rescapée d'en-dessous les bottes
d'une procession enturbannée.)
   
  Voici l'heure de vivre
L'agonie des vautours...
Longtemps nos gestes furent
Leur raison d'être
Et de trahir ;
Longtemps nos gestes
Ont parcouru le silence
D'un passé composé
Au présent compromis...
Voici l'heure de vivre
L'harmonie du soleil
Qui peu à peu reprend
Sa place sur les montagnes
Et les plaines reconquises.
   

FRATERNEL
Camarades aux rêves fertiles
Et généreux !
Dans cette spirale en forme
De crainte et de certitudes,
Chaque jour avec vous
J'apprends des mots plus justes
Et plus hauts qu'un minaret ;
 J'apprends à choisir le cap
Au mépris des vents contraires ;
J'apprends à mépriser celui
Qui reste au coin du feu
Quand la lutte commence (*) ;
J'apprends l'art de défaire
Les turbans qui persécutent
La céramiste et le poète.

*-Extrait d’un poème de Bertold Brecht

   
 

Vers pleins

 

 

 

   

J'héberge une brûlure permanente
Et tu ignores le sens de mes baisers
Tu ne sais pas Paris,
Pétrograd
Ni la Sierra Maestra
Tu ne sais pas confondre Aïn Defla et Vallegrande
Et tu ignores demain ici.

   
  La garde nationale ouvre le feu
Manuela rit
La liberté avance, tachée de cambouis.
La garde nationale rectifie le tir
Manuela tombe
La liberté avance, tachée de sang.
Lorsque la liberté prit le pouvoir
Elle décrèta
Le rire de Manuela
hymne national.
   
En cet été quatre vingt deux
Le cèdre au coeur nous voulions
Nous battre au coeur des cèdres.
Les Brigades se sont éteintes
Presqu'un demi-siècle nous sépare
Des gloires madrilènes.
En cet hiver quatre vingt deux
Voici le cèdre en sang, le cèdre
En cendre réduit par les Traîtro-Dollars.
   
  Mon coeur accueille
Chaque avion détourné
Par un ventre affamé.
Mon coeur annexe
Chaque pays qui se révolte.
Mon coeur réchauffe
Chaque main qui répond
D'un bâton de dynamite
A l'hystérie des gouvernants.
   
GHAZA
Olivier millénaire
Subissant mille orages
Et autant de trahisons
Les mauvaises herbes qui t'entourent
Sont arrosées de pétrole...
Pour en dire plus
Il faut des mots aussi utiles
Aussi dociles que les tenailles
Dans les mains d'un fidaï
   
 

Je me redresse sur la plate-forme d'un rêve
Et j'invoque ton prénom pour dégivrer mon poème
Tu viens ? Dans l'absence de nos gestes je veux
Faire de ces mots une dernière morsure
Dans la chair nue de ton désir
Tu sens ? Dans l'absence de nos gestes
J'éclate en mille élans diffus de crainte
Je m'agrippe aux hanches de l'espérance
(comme autrefois les tiennes)
Pour ne pas pleurer
Pour ne pas écrire
Que...l’incident est clos (*).

*- Dernière phrase dans la lettre de suicide de Maïakovski

 

   
Maintenant que le rêve qui a duré depuis que tu m'as inventé
s'est dissipé
Avec quelle offrande
venir à ta rencontre ?
   
  j'ai haï ce beau temps
Qui incite aux rêveries.
j'ai ignoré le rire
L'art et l'amitié.
J'ai cotoyé les loups
Et supporté leurs hurlements.
j'ai même failli
Me rendre à l'ennemi.
C'est notre dernière nuit
Je le sais : tu vas t'en aller
Et m'abandonner
A la quête angoissante
Pour saisir dans la craquelure le sens
C'était un jour sans toi.
   
Le temps fut long
Et douloureux
Depuis que ton corps
Echappa
Sans mot dire
A ma reconnaissance
   
  Dans ma course folle et généreuse
Dans ma course folle vers l'immersion
Une couronne mortuaire surgit à ma rencontre.
Je reprends mon poème, mes bouteilles vides
Et mon blouson...
Tous les errements sont désormais permis.
Au fait quel joyau ici
Etais-je venu conquérir
Moi qui ai connu l'exil, le délire
Et la folie des grands navires ?
   

Il faut écrire me dis-tu
J'ai peur demain de vivre hier
Ecrire au gré des jours et des nuits    
J'ai peur de vivre l'écorchure
Au gré des creux et des pleins   
Des faux aveux
Au gré des balancements furieux       
Des fades amitiés
De la houle impatiente ...
Il faut écrire...  
De l'orgueil sécurisant
J'écris que dans ton absence     
Et des plaisirs vite oubliés.

-tourbillon d'horribles peurs –

et d'ardentes certitudes   
J'ai peur demain d'oublier
         Le baiser reçu

   
  Mes mots ressemblent à une famille  
La parole donnée
De goélands pris dans la tempête.     
Le toit à finir
L'arbre à planter
L'hiver à contenir
Et la rose promise.
J'ai peur aujourd'hui de croire
A la vanité de mon poème.
   
Le rêve, dans un temps premier,
ne s'accomplira que dans les yeux et dans les gestes
Nos regards sont là
Et notre corps si jeune !
   
  Pour te faire venir
J'ai déchiré du ciel
Le clavier des jours...
Dans la déchirure
J'ai introduit l'éclat d'abord
Puis le rire tout entier.
   
Le geste clair et ta bouche
Ton corps se penche...
Tu es de retour et mes bras le sentent qui te parlent : où étais-tu..?
Où était-tu à l'heure des craintes et du reflux ?
Tu es de retour, debout
de tes gestes magiques
tu rajeunis les vagues...
Je n'ai plus peur.
L'astre émerge de tes mers en après-midi de tendresse
donnant naissance à mon corps.
Nous allons vivre ici, dans ce coin
de la terre, dans ce rivage qui est le nôtre et réintégrer l'harmonie de l'aventure.
(On frappe...N'ouvre pas !
Nous ne sommes pas là, bien que présents au pays qui nous rassemble,
au pays qui nous habite...)
Nous allons...Oh ! Nous allons vivre la simplicité des rêves désencagés
Redis-le moi pendant que nos corps
se nattent en sanctuaire d'une frénésie..
L'univers se pose dans la pénombre avec le bruit de la caresse
qui précède l'éclatement
Je tangue et je chavire
parmi les certitudes
parmi les mille envies
que ta présence libère.
   
  Délicates et roses bordures
Harmonieuse plaie entr'ouverte
Ma fièvre d'abord, pour l'élargir
Superbement j'ai introduit
Mon envie, mon impatience
Et notre chute enfin qui fut faite
Du fond brûlant de mes paumes
Aux bouts durs de ta poitrine.
   
Jeune femme aux seins
qui sentent la girofle 
Tu es la rivière authentifiant      
Devant sa propre infinitude...
la grandeur de mes paysages    
Tu es la plume, l'indicible plume 
qui porte à bout d'essor    
les mots nés de ta présence       
et jaillissant de mes envies.        
En toi je nais d'immensité  
En toi je demeure infini de tendresse.
Nous nous reconnaissons.
Tout l'avenir prend alors la forme des mots d'amour
la forme des mots définitifs.
   
  S’étale
La rose,
S'apaisent
Les reins,
S'exhalent
Cent soupirs.
Sans bruit
Dans la pénombre
Sur le drap
Peindre un poème
Avec ton regard perdu dedans.
   

Eclair de lune
Révélant ma fièvre   

Diadème surgi
Dans la pénombre

Serti de feu
Ton corps s'énivre
De ma sueur

   
 

Tes mains de céramiste
Ont taillé mon désir
Aux dimensions de ton corps.

Tes mains de céramiste
Superbes d'impudeur
Connaissent mon secret.

Tes mains de céramiste
Moulent dans mes rêves
L'empreinte du monde à naître.

Tes mains de céramiste
Pyromanes et apaisantes
Sont merveilleuses d'indiscipline.

   
Hardi saisonnier, le désir à fleur de geste
Je moissonne les frissons à la lisière de ton corps
Pour chaque matin m'éveiller fou
Du bonheur d'avoir cerné tes yeux
(Dans l'intervalle de tes gestes
je tends les lèvres
comme s'il s'agissait encore
de boire ton rire.)
   
  Pour ton anniverssaire
Mesk elleil
Nuit ankaouie
Un verre de vin
Un vers de Mahieddine
Un rire franc
Ma main furieuse
Sur ton ventre frémissant.
   
Tendre amie, lieu ceint d'amour
Pour qui a des yeux
Ce n'est pas le calendrier
Mais
Les fleurs
Qui annoncent
Le printemps.
   
     
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